Pourquoi un marché avec un taux de croissance annuel de l’ordre de deux chiffres génère-t-il une telle sinistralité parmi ses acteurs ?

Pourquoi sur ce secteur porteur et plein d’avenir un nombre considérable d’entreprises se retrouvent de façon quasi permanente en situation de crise ou en phase critique ?

Comment faire pour aborder le redressement, la restructuration et le sauvetage de ces entreprises ?

Comment en finir avec la gestion de crise, ses méthodes et ses bilans d’interventions, souvent lourds, et penser enfin développement, évolution, valorisation pour ces entreprises jeunes et dynamiques qui évoluent sur un marché qui ne l’est pas moins?

Diagnostic du secteur

Après une déferlante de disparitions courant 2001-2002 de certains acteurs, dont le plus notable fut Cryo, une nouvelle vague est arrivée en 2004-2005 avec Titus, Hip Interactive, et quelques autres. A leur tour, les majors sont en prise à des difficultés chroniques, Infogrames/Atari en est une parfaite illustration, malgré les diverses réorientations stratégiques et opérationnelles engagées, leurs difficultés sont loin d’être résolues. Ces crises structurelles furent à l’origine d’une série de rapprochements entre différentes sociétés du secteur. Des rapprochements d’entreprises sont toujours en cours; ils semblent constituer aujourd’hui la planche de salut de ce secteur.

Anatomie du marché

Un marché de dupes et de petits joueurs

Chaque année, sur les plates-formes consoles et PC, environ 5 000 titres de jeux vidéo sont lancés mondialement. Parmi ces 5 000 titres, seuls environ 200 permettront un retour sur investissement. Sur ces 200 titres, une vingtaine de titres seulement enrichira vraiment les éditeurs : ce sont les blockbusters. Citons pour l’exemple « Gran Theft Auto » qui s’est vendu à 12 millions d’exemplaires en 1 an.

Comment survivre dans un secteur en noir et blanc ? Analyse d’un marché paradoxal où le nombre de clients-joueurs ne cesse de croître, et celui des éditeurs de chuter.

L’industrie des jeux vidéo se situe au croisement de deux disciplines : l’informatique (développement de logiciels, de composants, achats de périphériques…) et l’audiovisuel (création de contenus, de scénarios…).

Extérieurement, le marché présente bien des similitudes à celui du cinéma, le coût de production d’un jeu vidéo équivaut à celui d’un film cinématographique. Cependant, une différence fondamentale change la donne : un film peut prétendre à une seconde vie. En effet, la vidéo, la télévision et les produits dérivés lui octroient une durée de vie accrue. Or la seconde vie d’un jeu vidéo est quasi-inexistante.

Autre contrainte fortement péjorative : la longueur des temps de production (trois fois plus importants que pour un film) les développeurs sont confrontés à la rapidité d’évolution des technologies et la nécessité de s’y adapter.

Le jeu au rayon des produits frais

La durée de vie commerciale d’un jeu PC est d’un an au plus et de 6 mois maximum sur le segment console.

Les titres consoles, quant à eux, nécessitent des investissements de plus en plus lourds et avec un nombre de plus en plus faible de titres qui performent. En fait, fréquemment, soit ils performent, soit ils ne font pas de vente. Il n’y a pas de phase intermédiaire. Certes, en quelques mois, l’éditeur est fixé, (parfois ruiné) : l’affaire est rentable ou non.

De plus le marché est fortement lié à la saisonnalité : les ventes de Noël représentent 40 % du chiffre d’affaires.

Innovation, intelligence et tarte à la crème politico-financière

La majorité des ventes se base sur des innovations créatives et technologiques. Les efforts de R&D sont importants : techniques d’affichage, bases de données graphiques, intelligence artificielle, simulation, système de sons et de dialogues contextuels et interactifs, gestion en ligne de communautés de joueurs en temps réel, ergonomie…

Il serait à la fois dommage et ingrat de la part de l’Etat d’abandonner ce secteur à son sinistre sort car les enjeux sont à la fois culturels et technologiques. Dans les années 80, les créateurs de jeux vidéo ont amené le grand public à l’informatique et au développement du « home computing ». En fait, ils ont littéralement boosté le secteur de l’informatique. Ces activités ludiques ont facilité l’adoption de l’informatique, de l’Internet par un public massif, de tous âges et toutes conditions. Ils ont également apporté la convivialité, la couleur, le son, la 3D… Ainsi, le mélange, désormais très répandu, d’image, de texte, de vidéo, de musique… de même que les concepts de taille mémoire, de stockage, de synchronisation, et de gestion du parcours de l’utilisateur ont pris naissance dans l’industrie du jeu vidéo et sont maintenant banalisés.

Mais les gros peuvent continuer à manger

Le développement d’un « blockbuster », représente un investissement de 20 millions d’euros sur trois ans. 50 % de ce coût ira à la R&D et au développement [aspects artistiques (éditorial, graphisme, scénario, musiques…), travaux de programmation] et 10 millions d’euros seront dédiés au marketing pour le lancement produit. Il s’agit donc d’investissements réservés aux très gros : Electronic Arts, Sony, Microsoft et à un second niveau, Ubi soft, Take 2 et Activision.

La palme de la goinfrerie commerciale revient incontestablement à Sony et Microsoft. Ils peuvent d’ailleurs se le permettre car le système est fait pour eux, et dans une grande mesure par eux étant à la fois juge, partie et percepteur. En effet, lorsqu’un éditeur souhaite développer un titre console, il doit en soumettre le contenu à Sony ou Microsoft. Alors même qu’ils sont éditeurs (donc compétiteurs en termes de création) et exploitants de plates-formes, ceux-ci donnent leur accord, ou non. Sûrement une façon très saine d’agir afin de créer une émulation de la concurrence…

Ensuite, si le jeu présenté leur sied, ils donnent leur aval pour un développement sur leur plate-forme moyennant espèces sonnantes et trébuchantes pudiquement appelées « royautés ». Royauté d’un genre nouveau puisque la définition de la royauté est un pourcentage reversé à la suite d’une vente. Sony et Microsoft ont inventé le concept « royauté du jeu » (à ne pas confondre avec royauté pour rire : un pourcentage versé même si le produit ne fait pas de vente. Les invendus donnent lieu au versement des royautés ! Il fallait y penser en créant l’application…

Le marché mondial d’Oncle Sam et du Soleil Levant

Le marché mondial du jeu vidéo (matériel et logiciel confondus) s’élève à près de 30 milliards d’euros. Face à la longueur d’avance prise par les Américains et les Japonais, les entreprises européennes désespèrent de conquérir une place majeure sur ce marché. La France avait une position majeure jusqu’en début 2000. Place qu’elle a aujourd’hui perdue.

C’est dommage si l’on considère les chiffres de l’OCDE qui estime que les ventes mondiales de jeux vidéo – tous supports confondus – devraient plus que doubler d’ici à 2008 !

Il faut bien admettre, et en saisir la portée, les enjeux de ce marché, relativement nouveau, sont autant industriels que culturels.

 

Fusion, rapprochement, financement et refinancement… Le fabuleux destin des Européens

L’internationalisation de l’industrie des jeux a engendré de fortes restructurations, et certaines PME européennes n’ont pu résister, faute d’être adossées à de grands groupes. Les développeurs et les éditeurs indépendants sont en situation financière délicate. Que
lques éditeurs sont parvenus à se relever de cette période difficile, mais à un prix souvent très élevé pour leurs actionnaires. Premier acteur français, Infogrames/ATARI semble convalescent de sa boulimie d’acquisitions, plusieurs augmentations de capital massivement dilutives et quatre années de restructurations.

Tout ceci induit de forts changements dans les entreprises et les mentalités. Les chefs d’entreprises du secteur doivent désormais devenir de véritables opérateurs de pilotage stratégique ou laisser provisoirement les rênes à un interim management, spécialiste des cycles et des retournements d’entreprise.

Comment en finir avec cette sinistralité ?

Le secteur connaît en effet une conjoncture difficile :

 – Des marges commerciales réduites à peau de chagrin ;

 – Une anarchie commerciale généralisée ;

 – Une défiance incontestable des investisseurs vis-à-vis du jeu vidéo, depuis entre autre l’éclatement de la bulle Internet.

Chaque arrivée d’une nouvelle génération de consoles (2000 fut un exemple criant) s’est traduite par un recul des ventes mondiales de jeux vidéo, et par un surenchérissement des coûts de développement, avant de rebondir. Qu’en sera-t-il de la génération 2006 ?

Le marché PC est plus ouvert à la concurrence mais il porte ses propres limites, structurelles cette fois : les jeux sont plus compliqués à installer. Le marketing est également moins agressif.

Cependant, ce marché est également destiné à se développer online, comme par exemple : World of Warcraft de Vivendi Universal games. Avec ses plusieurs millions d’exemplaires vendus, on parle d’un franc succès. Autre caractéristique des jeux online, leur durée de vie est plus longue, en moyenne 2 ans. Nous reviendrons plus en détails sur ce nouveau marché au cours d’un autre éditorial.

 

Urgence et longueur de temps

Les éditeurs de logiciels de loisirs ont tardé à revendiquer leur activité comme un secteur de création à part entière. Cette reconnaissance leur octroierait une diminution de la TVA à 5,5 % et la rémunération sur la copie privée perçue sur les CD vierges. Sachant que, estimation faite pour l’année 2001, environ 30 % des CD vierges, soit environ 70 millions d’exemplaires, ont servi à copier des jeux vidéo alors que dans cette même année il s’est vendu environ 21 millions d’exemplaires de jeux.

Il est quand même dommage que cette industrie n’ait jusqu’ici pas bénéficié de systèmes de protection des œuvres, comme dans les secteurs de la chanson et du cinéma, alors que ces activités sont similaires sur de nombreux points.

Sans l’adoption et la mise en œuvre de changement rapides et profonds, tout le secteur restera confronté à ces difficultés structurelles, fatales aux PME européennes de ce secteur.

Des solutions existent pourtant

 

Réflexion et…

Afin de surmonter cette situation difficile et d’entrevoir des solutions, les industriels du jeu orientent leur réflexion autour de certains axes :

 – une meilleure maîtrise des coûts de production (même si les technologies ne cessent d’évoluer),

 – augmentation du soutien de l’Etat (afin de faire face aux studios étrangers et endiguer les délocalisations) :  la mise en application de mesures fiscales, la création  d’un pôle de croissance sur le modèle canadien, un recours facilité au capital.

Sans traiter des problèmes de gestion, de management, de sous-capitalisation ou de mono-clientélisme, ou encore de cycles d’entreprises, inhérents à toute d’entreprise de tout secteur, attachons-nous au problème majeur du secteur du jeu vidéo :

Il est structurellement déficitaire car le retour sur investissement a une probabilité beaucoup plus faible ;

L’espérance de gain, est également beaucoup plus faible.

Mais voilà, c’est également un secteur en plein essor, composé de passionnés, de tous âges et de tous niveaux de l’échelle sociale.

… concentration d’entreprises

Certes lors de l’explosion de la bulle internet, les investisseurs ont fait un pas de recul. Mais depuis cette année on assiste de nouveau à des levées de fonds significatives. D’où la possibilité, voire la nécessité, d’utiliser la Bourse comme levier, pour la concentration d’entreprises. Seule la fusion des savoir-faire, en termes de créativité, de développement et de commercialisation permettra aux entreprises françaises et européennes de faire front face aux géants nippons et américains.

Cette concentration est nécessaire sur ce secteur pour qu’un tissu de studios se développe à travers une enseigne commerciale unique.

Baisse ou l’abandon des royautés de Sony et Microsoft

Si dans les premiers temps, les techniques de fabrication pouvaient en partie justifier ces royautés, il ne s’agit guère plus aujourd’hui que d’un simple DVD à… 0,5 euro. Or ces royautés n’ont plus de raison d’être, elles relèvent d’un principe indécent dans un secteur où les PME sont exsangues. Malgré tout les consoliers empochent toujours 7 euros et plus ! Ces prélèvements sont donc des manques à gagner considérables pour les éditeurs. Les royautés sont devenues de véritables rentes de situation, qui sont autant de prélèvements qui grèvent le marché et perturbent fortement la concurrence. Cependant, ils ne subissent aucune attaque, ni pression pouvant aller dans le sens d’une renégociation de ces « prélèvements ». Question de bon sens commercial ? Ils sont également les deux plus forts contributeurs des syndicats professionnels.

En revanche, leur persistance pourrait stimuler le développement de jeux massivement multi-joueurs via internet ou de jeux via la téléphonie mobile, les éditeurs se montrant de plus en plus las de ce racket.

Aujourd’hui, les 2 grands gagnants du segment console, constitutifs des deux tiers du marché, sont Sony et Microsoft.

Une intervention réelle (et rapide) des pouvoirs publics.

Aux pouvoirs publics de savoir quels contenus il convient de soutenir. Désirons-nous des générations de joueurs formatés dans un imaginaire à base de tortues ninja ou de Lara Croft ? Ferons-nous l’effort de changer de cap et de penser une spécificité culturelle française ou du moins européenne ?

Le rapport Fries est à l’étude dans le bureau de Nicole Fontaine, ministre déléguée à l’Industrie, depuis le 28 janvier 2004. Il propose d’inscrire la création et la production de jeux vidéo comme élément de l’attractivité du territoire, estimant essentiel que le dynamisme des studios de création nationaux soit renforcé et que les grands éditeurs internationaux soient incités à développer davantage de jeux en France et en Europe. Malheureusement, ce rapport est franco-français et la sinistralité a gagné toute l’Europe.

Pour soutenir une industrie dont le taux de croissance est estimé à 15 % l’an, certains pays comme le Canada n’ont pas hésité à prendre des mesures hautement incitatives en proposant une prime à l’embauche et une exemption des charges patronales de 50 %.

Aux Etats-Unis, le jeu vidéo est financé par des sociétés de capital risque soutenues par le gouvernement et l’armée.

Un changement de comportement des acteurs est aujourd’hui nécessaire pour qu’à côté de Microsoft, Sony, et quelques géants encore fragiles, comme Electronic Arts, subsistent d’autres acteurs. La présence et la représentation européenne est aujourd’hui chose nécessaire pour un équilibre mondial commercial et culturel.

L’impulsion peut venir des gouvernements européens, vite, mais également des différents acteurs de la chaîne de la valeur : éditeur, développeurs, distributeurs