La crise sanitaire Covid-19 a entrainé une correction soudaine et drastique des valeurs boursières mondiales. Le Dow Jones et le S&P 500 ont connu le pire trimestre de leur histoire suite à des chutes respectives de plus de 23% et 20%. Le CAC 40 a quant à lui enregistré sa plus forte chute historique le 12 mars dernier et clôture le premier trimestre 2020 avec une baisse de près de 27%.
Bien que le décrochage soit bien plus fort que celui lié aux dettes souveraines de la zone Euro en 2011, ou après la faillite de Lehman Brother en 2008, certaines sociétés parviennent à stabiliser leur équilibre financier en saisissant les opportunités liées à cette crise. Ces dernières peuvent être temporaires, sur un horizon court terme et principalement liées aux conditions exceptionnelles de confinement et d’accès aux soins, ou d’autres apparaissent durables en lien avec des changements d’habitudes de consommation ou de mode de travail ou de vie.
- Le secteur médical
De nombreuses sociétés médicales investissent dans la recherche d’un traitement ou d’un vaccin permettant de lutter contre le virus. Ces valeurs ont su résister au krach boursier du mois de mars qu’elles ont subi d’une moindre mesure. Par exemple, Sanofi travaille simultanément sur une recherche de vaccin et sur la validation des essais cliniques d’un traitement antipaludique qui permettrait de traiter immédiatement 300 000 malades. Son cours de bourse a subi une baisse de 20%, qui peut être considérée comme relative, dès lors que nous la comparons à la chute de 34% du CAC 40 sur le même période, soit entre le 1er janvier et le 12 mars 2020. Son cours s’est depuis apprécié pour retrouver sa valeur de début d’année.
L’application des mesures sanitaires et l’application des gestes barrières ont également bénéficié aux sociétés de production de matériel médical, à l’instar du leader français des gants à usage unique Euromédis dont le cours a bondi de 300 % en l’espace d’un mois, et du fabricant de produits d’hygiène Orapi dont le cours s’est apprécié de 18%. Enfin, les sociétés de dépistage ont également surperformé le marché : la capitalisation boursière de Biosynex s’est multipliée par quatre depuis le début de la crise.
L’évaluation faite par le marché ne reflète pas uniquement la traduction de l’augmentation ponctuelle des ventes de produits médicaux liée à la crise, mais anticipe des investissements supplémentaires durables de la part des hôpitaux et pouvoirs publics. Ceux-ci ont pris conscience de la nécessité d’accès à de tels produits rapidement et à grande échelle.
2. La consommation liée au confinement
Certains secteurs d’activité bénéficient du mode de vie adopté par les français durant le confinement. C’est notamment le cas des services de divertissement virtuel tels que ceux de vidéo à la demande (Netflix, Apple TV, YouTube) ou les jeux vidéo et plateformes de streaming (Twitch, Mixer) dont l’utilisation est amplifiée. D’autre part, les plateformes de communication et les réseaux sociaux ont connu une forte augmentation de leur trafic : +40 % pour la messagerie WhatsApp et 70% de hausse pour les appels vidéo de Facebook Messenger.
Le secteur du développement personnel profite de la crise pour élargir sa base d’utilisateurs en démocratisant ses services au plus grand nombre. Par exemple, l’utilisation de plateformes de formation en B2C a explosé depuis quelques semaines, en atteignant des clients jusqu’alors peu enclins à l’apprentissage par MOOCs. Par ailleurs, les recherches Google comprenant les termes « home workout » ont été multipliées par 6 entre février et mars et se sont reflétées sur les taux de téléchargement d’applications sportives et de méditation.
Le retail alimentaire, bénéficiant du statut d’essentiel à la nation, est lui aussi impacté positivement par la crise sanitaire. Les achats de panique précédant la période de confinement ont engendré une augmentation des ventes, chiffrée par exemple à 236%, le lundi 16 mars. Une fois la situation stabilisée, l’exode d’un parisien sur cinq en province a augmenté le poids des ventes sur l’intégralité du territoire. Suivant les demandes du gouvernement de limiter le rayon de ses déplacements, les magasins de proximité sont particulièrement privilégiés par la situation. De plus, la disposition de temps libre et la nouvelle implication de chefs cuisiniers sur les réseaux sociaux ont poussé les ménages français à renouer avec le goût de la cuisine faite maison. Une mode de fabrication de pain maison a notamment provoqué une pénurie de farine. A titre d’exemple, le groupe Casino Guichard, pourtant relativement fragilisé par son endettement a retrouvé son niveau boursier pré-crise et profite d’un cours stable depuis le 17 mars.
Enfin, les GAFAM profitent particulièrement de la crise actuelle. Ces sociétés profitent de liquidités importantes (570 milliards de dollars) leur permettant de faire face aux chocs des marchés et de développer des plans d’investissement en fonction des conditions de marché. Amazon a annoncé un plan de recrutement de 100 000 personnes afin de faire face à la demande grandissante de ses clients.
De nombreuses sociétés émergeantes et licornes ont subi de plein fouet la baisse de confiance des marchés, menant à des plans massifs de licenciements. C’est une occasion pour les Big 5 de racheter des technologies et brevets à prix bradés et d’embaucher les experts technologiques et stratégiques sans emploi. D’après The Economist, les sociétés leader des 10 principaux secteurs d’activité aux Etats-Unis ont connu une croissance moyenne de 6% durant les trois dernières crises économiques. Leur coût du capital est inférieur à celui de leur compétiteur de petite taille et leur taux de génération de cash par rapport aux revenus est supérieur. Par conséquent, ces sociétés seront préférées par tous leurs stakeholders, permettant un accès facilité aux capitaux, des opportunités d’investissement, et une relation favorisée avec leurs fournisseurs.
3. Les conséquences inattendues d’une croissance liée à la crise
La popularité du logiciel Zoom a doublé la valeur de l’action de la société américaine. Préparée à ce type de scénario, ses serveurs ont résisté à la surutilisation du logiciel durant la crise, passée de 10 millions d’utilisateurs quotidiens à plus de 200 millions. Cependant, elle est suspectée de ne pas avoir suffisamment investi dans la cyber sécurité et de ne pas respecter une politique stricte de protection des données. Sa popularité a entrainé un examen minutieux des failles du logiciel. Des rapports dénoncent notamment des fuites de données, des systèmes de cryptages faibles et des témoignages de « Zoom Bombing », c’est-à-dire l’accès par des étrangers à des réunions privées. Le Dark net propose 530 000 comptes pour moins d’un centime pièce, principalement pour encourager le Zoom Bombing. De plus, l’utilisation de serveurs basés en Chine effraie certains pays. En conséquence, la réputation de Zoom est entachée et certaines sociétés ont banni l’application, à l’instar de Google, SpaceX et certaines organisations gouvernementales de Taiwan, des Etats Unis, d’Allemagne et de Singapour. La grande base de clients disponibles pourrait se tourner vers des solutions moins modernes et plus difficiles d’utilisation mais comportant une politique de sécurité maximale que sont Microsoft Skype et Teams.
La croissance de la demande pour les services digitaux offerts par les GAFAM a relancé la réflexion anti-trust des régulateurs américains. Ceux-ci pointent notamment du doigt la dépendance accrue de la population face à ces outils, ainsi que la vague de consolidation qui pourrait émaner de la crise actuelle. Cependant, les circonstances exceptionnelles actuelles peuvent être un biais par lequel ces grandes sociétés technologiques peuvent prouver leur bonne foi et leur compatibilité avec le système démocratique et capitaliste actuel. Facebook et Twitter mènent une politique anti fakenews féroce, prenant en compte les attentes de l’Etat et de la population. De plus, les changements de mode de vie induits par la crise ayant sensibilisé la population mondiale sur l’importance des données privées, les GAFAM en profitent pour vanter leur modèle de sécurité, à l’instar des logiciels de communication développés par Microsoft.
Tristan Billette
Bureau d’étude Zalis.