Par Jean-François Habert, expert Zalis en finance et trésorerie.

 

Après les aides massives, le « mur de la dette »

 

Dans le cadre de la crise sanitaire, nos Entreprises ont bénéficié d’une aide financière publique sans précédent sous forme de prêts massifs garantis par l’Etat. Cette aide, destinée à fluidifier les circuits financiers entre les acteurs économiques  et à accorder une aide d’urgence  dans un climat de baisse drastique de l’activité, a eu pour objectif de sauvegarder le tissu économique du pays, et de  permettre à ses entreprises et à leurs salariés de « tenir » jusqu’à la reprise économique attendue.

Une seconde phase, nettement  plus périlleuse que la première attend à présent ces mêmes entreprises qui ont à présent à faire face à deux défis aux enjeux considérables :

  • Organiser le retour à des conditions normales d’exploitation après la léthargie imposée par la crise sanitaire ;
  • Faire face à un endettement accru souvent dans des proportions considérables et restaurer la structure de leur Bilan pour permettre d’envisager l’avenir avec sérénité.

Notre propos  se focalisera sur le second défi, qui apparaîtra pour beaucoup de PME comme étant très difficile à relever. En effet, un rapide calcul montre que pour rembourser le prêt maximal correspondant à 25% du chiffre d’affaires, le dégagement d’un cash-flow égal à 5% du CA est nécessaire sur 5 ans, ce qui n’est pas à la portée de nombre d’entreprises fragilisées par la crise que nous traversons.

Comment dès lors faire face à ce « mur de la dette », d’autant qu’il faut prendre en compte également les nécessités de l’investissement, ce dernier devant être favorisé pour ranimer une croissance indispensable à l’espoir de résolution des difficiles équations post-coronavirus ?

Nous nous proposons  de suivre  un cheminement logique, en examinant successivement :

  • les solutions envisageables dans le cadre des règles actuelles d’utilisation et de remboursement des Prêts garantis par l’Etat (PGE), dont le choix est du ressort des Entreprises et de leurs Dirigeants ;
  • l’extension souhaitable ou nécessaire du champ des solutions par une évolution des règles de remboursement des prêts, évoquée, voire réclamée par de nombreux observateurs, qui est du ressort des Pouvoirs Publics et du Législateur.

 

L’incontournable renforcement des Fonds Propres

 

Dans le contexte  législatif actuel, les chiffres cités  précédemment indiquent clairement que les cash flows  d’exploitation seront dans  de très nombreux cas insuffisants pour faire face à l’amortissement des PGE. Dès lors que l’exploitation courante (profitabilité, gestion du BFR) ne peut fournir les liquidités nécessaires,  les leviers utilisables sont les suivants :

  • les cessions d’actifs, qui ne sont efficientes que dans le cas de détentions d’actifs de valeur et non stratégiques (immobilier par exemple…), solution sur laquelle nous passerons rapidement tant du fait de sa relative facilité d’exécution que de sa probable faible occurrence dans le cadre qui nous intéresse ;
  • la consolidation de la dette par levée d’endettement de plus longue maturité : l’endettement bancaire traditionnel est à exclure, car on ne voit pas les banques troquer un prêt garanti à 90% par l’Etat contre une créance a priori beaucoup plus risquée ; l’émission de titres obligataires apparaît également aléatoire pour beaucoup d’Entreprises (coût, accès au marché, risque perçu…)
  • On arrive ainsi immanquablement au recours à l’accroissement des fonds propres, seule solution pour un grand nombre d’acteurs économiques  maintenus en vie par un recours au PGE.

 

Des opérations aléatoires, risquées et onéreuses

 

Examinons  à présent les différents « outils »  à disposition :

  • La réalisation d’une augmentation de capital, évidemment sans conséquence si les actionnaires peuvent y souscrire, mais aléatoire et risquée si des investisseurs extérieurs sont sollicités : aléatoire car il faut susciter l’appétence de ceux-ci dans des conditions de marché difficiles, risquée car les conditions d’entrées exigées  sont susceptibles d’avoir de lourdes conséquences  sur la propriété et la gouvernance de l’Emetteur.
  • Pour éviter ce choix douloureux, les Actionnaires seront tentés de  recourir, en l’état actuel des choses, à des solutions leur permettant d’accéder à ce qui leur fait le plus cruellement défaut dans le sauvetage de leur entreprise et de leur patrimoine : le temps.

Les solutions possibles consistent en la levée de quasi-fonds propres auprès d’investisseurs-prêteurs avec qui sera passé le contrat suivant : le temps est acheté au prix d’une rémunération élevée, le risque est rémunéré par la possibilité d’une prise de contrôle totale ou partielle de l’Emprunteur. Toute la gamme des  obligations convertibles, subordonnées ou non peuvent répondre à ce besoin, les termes de la négociation  étant hautement variables en fonction du rapport de forces entre les interlocuteurs.

 

Un infléchissement législatif nécessaire

 

Il est temps à présent de conclure sur la brève étude de ce premier volet : dans les circonstances juridiques actuelles, une large majorité de PME , voire de grandes Entreprises  ne pourront faire face au remboursement des PGE contractés sans recours à un renforcement de leurs fonds propres ou quasi-fonds propres, mettant en cas de succès de l’opération leurs actionnaires en position de fragilité, avec tous les effets induits pour l’Entreprise, et en cas d’insuccès, les menant à une situation d’insolvabilité.

Pour éviter de placer les entreprises face à cette cruelle alternative, un infléchissement de la situation juridique actuelle nous paraît nécessaire.

 

3 évolutions théoriquement possibles…

 

Dans le cadre d’une évolution des règles régissant le PGE, les solutions envisageables pourraient être  les suivantes :

  • L’abandon par l’Etat de tout ou partie de sa créance, selon les acteurs ou les secteurs d’activité,
  • L’allongement de la maturité du PGE ;
  • La conversion du PGE en actions ou en autres titres de créance à des niveaux de valorisation qui n’aboutirait pas à exproprier les actionnaires…

Procédons à un examen de la faisabilité et de la pertinence de ces différentes solutions :

 

Une mesure à écarter…

 

Un abandon pur et simple de créance par l’Etat ne nous paraît pas acceptable Il doit par principe y avoir une contrepartie aux subsides de l’Etat, au nom du  respect des contribuables, de l’équité, de l’éthique, et de l’efficacité économique :

  • du respect du contribuable : l’indemnisation des banques créancières creuserait la dette publique et serait tôt ou tard facteur de hausse de la pression fiscale, toutes choses égales par ailleurs ;
  • de l’équité: ces abandons de créances, générales ou même ciblées via des critères  relatifs à l’emploi, favoriseraient les bénéficiaires au détriment des Entreprises  en bonne santé, ou simplement prudentes qui ne demandent rien, et créeraient donc des distorsions de concurrences inacceptables (quid d’une entreprise performante se retrouvant en difficulté après des distributions de dividende généreuses ?) ;
  • de l’éthique: un abandon de créance enrichirait de facto les actionnaires des entreprises  bénéficiaires  en les indemnisant des conséquences financières de la crise sanitaire ; à titre de comparaison, nul ne penserait indemniser les Investisseurs de leurs pertes sur les marchés financiers consécutives à cette même crise sanitaire ;
  • de l’efficience économique: l’argent public ainsi investi le serait dans nombre de structures peu performantes, au détriment d’usages alternatifs potentiellement plus pertinents, en termes de profitabilité ou même d’emploi.

 

Une mesure consensuelle

 

En regard, l’allongement de la maturité du PGE paraît être une solution plus consensuelle et plus efficace pour les deniers publics. Un allongement à 10 ans permettrait de diviser par 2 la pression des remboursements pour les entreprises et pourrait, pour les plus performantes, financer en partie l’effort d’investissement. Une option de modulation des amortissements pourrait être prévue pour accorder plus de souplesse au dispositif.

 

De possibles évolutions innovantes

 

Que faire alors pour le renforcement des fonds propres (ou quasi-fonds propres) des entreprises, que nous savons indispensable ?

  • L’entrée de l’Etat au Capital n’est envisageable que dans certaines grandes entreprises, sous conditions (règles de concurrence…) et à titre temporaire. On a vu que certaines opérations peuvent s’avérer à la fois salvatrices pour l’Entreprise et profitables pour l’Etat (Alstom, PSA…). On voit mal l’Etat être directement ou indirectement actionnaires de milliers de PME et TPE…

 

  • Une solution consisterait à transformer le PGE en titre de créance dont l’amortissement, voire le paiement des intérêts seraient subordonnés à certains événements :
    • Réalisation d’un certain niveau de free cash-flow ;
    • Réalisation d’un programme de cessions d’actifs ;
    • Cession de l’Entreprise ou du fonds de commerce.

Ce dernier point nous paraît particulièrement intéressant,  car elle érige de facto la créance en quasi-capital sans effet sur la gouvernance ou la propriété de l’Entreprise, et sans renoncer au droit légitime du créancier à rémunération et remboursement. Il serait applicable dans toutes les situations, et en particulier aux TPE. Nous espérons que le législateur fera preuve de sagesse en explorant pleinement les possibilités de cette voie qui s’avèrent aussi riches que nombreuses.

 

En guise de conclusion

 

Arrivé au terme de cette courte revue des solutions financières pour faire face à la hausse significative du ratio d’endettement des Entreprises ayant eu recours au PGE, la nécessité d’accroître leurs fonds propres ou, à défaut, leurs quasi fonds propres apparait comme une évidence.

Sans oublier, l’absolu nécessité de prévoir le financement des investissements futurs et de ne pas laisser les sociétés sans ce levier.

Les opérations nécessaires dans une telle occurrence sont potentiellement risquées, car imposant la dure alternative entre réalisation des objectifs et perte de contrôle, et s’avèrent dans tous les cas onéreuses.  De plus, nombre d’entreprises ne pourront mettre en œuvre ce type de solutions et se retrouveront de ce fait en situation d’insolvabilité.

C’est pourquoi un infléchissement de la législation sur les PGE nous semble indispensable. Elle devrait permettre à la puissance publique, via des structures ad hoc, la pérennisation au passif des Entreprises des concours financiers issus du PGE autant que nécessaire via des mécanismes innovants, souples  et pragmatiques, en excluant cependant formellement la transformation de ces concours en subventions.