Par le Bureau d’Etudes Zalis Paris
La relocalisation industrielle au service de l’emploi et de la souveraineté nationale ?
La réindustrialisation et la relocalisation, on en parlait avant la crise sanitaire et on en parle d’autant plus aujourd’hui. La pénurie de masques ainsi que notre dépendance vis-à-vis de l’étranger dans le domaine de la médecine et de la pharmacie en particulier, ont illustré les limites à l’importation de certains biens stratégiques ou essentiels. Faisant suite à des vagues successives de délocalisations, le sujet du « made in France » revient en force.
La désindustrialisation est un phénomène mondial qui a caractérisé les deux dernières décennies. Même les deux premières puissances industrielles mondiales ont, selon la Banque Mondiale, vu baisser la part de la production industrielle dans leur PIB.
Source : graphique réalisé par le Bureau d’Etudes Zalis sur la base des données de la Banque Mondiale – https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NV.IND.TOTL.ZS
C’est le résultat de ce que l’on appelle la mondialisation. Face à des marchés très concurrentiels, la surcapacité de sites de production et l’appréhension de gains de productivité potentiels, les entreprises choisissent de délocaliser leur production dans des régions du monde bénéficiant d’avantages compétitifs. D’autre part, la pente ascendante de la demande de services depuis 20 ans, le souci de sauvegarde de la compétitivité et l’augmentation de la concurrence étrangère peuvent également expliquer la diminution de la part de l’industrie dans les pays comme la France.
La réindustrialisation et la relocalisation avaient pour principaux objectifs de créer des emplois en France, de rétablir l’équilibre de la balance commerciale et de se concentrer sur les secteurs dits stratégiques. Longtemps mise de côté au profit de considérations financières, l’indépendance à des domaines essentiels est apparue comme une évidence face à la crise sanitaire.
Mais où en est-on des relocalisations ? de la réindustrialisation ? Malgré le peu de données disponibles sur ce sujet, nous allons tenter de dresser un rapide constat des tendances observées.
D’après les données du cabinet Trendéo(1), le solde net entre les ouvertures et les fermetures d’usines en France a été négatif sur les dix dernières années, de 2009 à 2019, hormis pour les années 2017 et 2018. Ces dernières années, c’est la réduction des fermetures d’usines qui nous permet d’observer la tendance favorable du solde net.
(1) Cabinet créé en 2009, spécialisé dans l’analyse des tendances de l’emploi et de l’investissement en France.
La Direction Générale des Entreprises (DGE) a identifié une petite centaine de relocalisations sur cinq années (de 2014 à 2018 d’après le rapport de l’Assemblée nationale du 20 mai 2020). Une comparaison non circonstanciée des chiffres de la DGE et du cabinet Trendéo sur la même période, indique qu’environ 13% des nouvelles usines créées sur l’hexagone seraient issues de relocalisations.
On comprend que si les ouvertures d’usines restent modestes, les relocalisations le sont tout autant, notamment de par leur caractère peu réversible. En effet, le succès de ces opérations requiert un équilibre fragile, dépendant de la combinaison de multiples facteurs qui contribuent à favoriser le retour sur investissement : les coûts de production, l’environnement réglementaire, les compétences disponibles, l’écosystème de fournisseurs, le financement de l’investissement…
De 2014 à 2016, les chiffres de l’INSEE nous indiquent que moins de 1% des PME ont relocalisé en France une activité cœur de métier. La tendance à la relocalisation semble ainsi loin d’être établie.
(2) Champ de l’INSEE : PME marchandes non agricoles et non financières de 50 salariés ou plus implantées en France. Etude réalisée sur 2 290 990 entreprises, hors micro‑entrepreneurs et micro‑entreprises au sens fiscal.
Les importantes vagues de délocalisation industrielle des dernières décennies semblent être derrière nous. Bien que ce phénomène soit toujours d’actualité, il semble n’expliquer qu’une part très modeste du recul de l’activité industrielle française.
Aussi, la relocalisation de ces activités n’apparaît pas être l’unique solution à la réindustrialisation. Par ailleurs, les entreprises qui relocalisent améliorent leur productivité en automatisant leur outil industriel ; le retour en France s’accompagne souvent d’une montée en gamme et d’efforts d’innovation, mais ne crée que peu d’emplois directs.
Nous mettons l’accent sur les relocalisations comme remède à la désindustrialisation, il semble s’agir davantage de la réindustrialisation. Les relocalisations ne sont qu’un moyen parmi d’autres pour créer de l’activité industrielle, force est de constater qu’elles n’y ont pas contribué de manière significative.
Bien que les relocalisations n’aient qu’un effet marginal sur la création d’emploi et l’augmentation de l’activité industrielle, elles semblent rester une réponse partielle à la perte d’indépendance et à la reconquête de la souveraineté nationale. Néanmoins, la relocation d’activités dites stratégiques ou essentielles, ne peut se faire et avoir du sens que dans une stratégie globale portée par le gouvernement.