Entretien avec Florence Vanin, Directrice de mission Transformation chez ZALIS
Concrètement, comment mesurer quelque chose d’aussi multiple, mouvant et difficile à saisir que le changement sur le plan humain ?
Certes, le changement humain est toujours difficile à appréhender voire à quantifier. C’est pour cette raison que l’on mesure en fait un chemin parcouru. Ce chemin part d’un point A, une situation donnée, vers un objectif B, une situation désirée et il est balisé. On mesure le changement par rapport à un point cible qu’on souhaite atteindre, au sein d’une organisation et dans un contexte donné et à partir d’indicateurs opérationnels tangibles.
C’est évidemment beaucoup plus délicat de mesurer des changements dans les comportements et les postures.. Pour mesurer la progression dans ce domaine, il faut laisser s’exprimer et écouter le collectif…. Pour que cette mesure soit pertinente et fasse sens pour l’entreprise, il faut faire du sur-mesure, en fonction des thématiques importantes et concrètes au sein de l’organisation. Il faut savoir ce qu’on souhaite mesurer. Par exemple, en 2020, ZALIS a accompagné une entreprise qui souhaitait connaître l’impact de l’expérience de la pandémie sur l’engagement de ses collaborateurs. Un an après, elle a refait une enquête pour faire un bilan sur la résilience de son collectif et sa capacité à se remettre en mouvement positivement.
A ce jour, les outils informatiques permettent-ils une mesure plus précise et plus fiable du changement ?
Dans ce domaine, les progrès en collecte et en analyse de la data nous aident. Il s’agit de combiner, dans une approche mixte, deux méthodes : la récolte et la compréhension des données et une approche proprement humaine et systémique en s’appuyant aussi sur l’expertise de coachs d’organisation. Les résultats sont rendus plus fiables grâce à ces deux approches complémentaires. Nous combinons une approche statistique, quantitative et qualitative. Nous utilisons des méthodes d’échantillonnage représentatif, et co-construisons les questions avec l’entreprise. Evidemment, les questionnements doivent être construits en fonction des contraintes techniques des outils ou solutions utilisées.
Est-il possible que l’usage d’un tel outil conduise à une appréhension erronée du changement ?
Non, pas vraiment. Le risque d’erreur est ici considérablement réduit car on confronte l’analyse de données anonymisées à des entretiens plus personnels. Le protocole doit être rôdé. Dans cette perspective, la marge d’erreur existe, comme toujours, mais elle est minime.
Les enquêtes servent généralement à confirmer ou infirmer une hypothèse d’interprétation de départ. Une fois les données collectées, il est nécessaire de les structurer, pour les intégrer dans le nouvel environnement et produire les résultats attendus. Toute cette démarche d’investissement en temps et en coût constitue déjà un engagement de la part de l’entreprise : quand elle décide d’entrer dans de tels cadres d’écoute et d’analyse de la parole de ses collaborateurs, elle choisit de faire confiance aux résultats et de s’inscrire résolument dans une démarche d’accompagnement des collaborateurs dans le processus de transformation.
Au-delà de ces temps forts d’écoute, toutes les entreprises peuvent prendre le pouls de leur collectif au quotidien et il est même essentiel de multiplier les cadres d’écoute des collaborateurs, par exemple autour de petits-déjeuners thématiques avec la direction ou le management. La réalité est fluctuante, et il faut combiner les modes de recueil de l’information auprès des collaborateurs : les temps formels (enquêtes ponctuelles), les temps institutionnels d’échanges (CSE, dialogue avec les partenaires sociaux) et les temps informels (événements, relations quotidiennes de travail, …).
Comment susciter l’engagement et l’intérêt des équipes sur ce sujet ?
Il faut absolument communiquer sur la démarche en elle-même pour avoir la confiance du collaborateur. Il faut vraiment que cela se fasse avec transparence, cohérence et confiance. Garantir l’anonymat est aussi un bon moyen de susciter confiance et sincérité. Concrètement, cela signifie aussi qu’il faut communiquer les résultats des enquêtes aux collaborateurs et leur montrer que l’enquête va déboucher sur un plan opérationnel et des actions concrètes. Autrement, c’est le risque que le collaborateur n’adhère pas à une démarche dont il ne perçoit pas l’intérêt.
Susciter l’adhésion à ce stade est essentiel, non seulement pour s’assurer que la mesure repose sur des réponses fiables et honnêtes, mais aussi pour pouvoir s’assurer de l’engagement des collaborateurs, et donc mettre en œuvre par la suite la transformation au sein de l’organisation. C’est tout l’alignement de la tête (la compréhension intellectuelle du projet de transformation), du cœur (l’adhésion émotionnelle au changement) et de la main (la mise en action) à assurer.
Peut-on à travers la mesure du changement, revoir réellement la stratégie de l’entreprise ?
Le plan de transformation accompagne la stratégie de l’entreprise et permet sa mise en œuvre. Une démarche de conduite du changement doit faciliter la réussite de la transformation de l’entreprise et porter les ambitions et les objectifs Business. C’est la trajectoire du changement qui s’adapte selon les axes stratégiques de l’entreprise et pas l’inverse.
Dans un contexte de transformation, l’entreprise est comme un orchestre. Une partition a déjà été écrite par le compositeur, parfois co-écrite avec les musiciens. Et il appartient à l’orchestre de la jouer avec une certaine marge de créativité dans l’interprétation musicale mais aussi certaines contraintes de musicalité. Le chef d’orchestre, sponsor du projet collectif de transformation, reste à l’écoute de son orchestre, prend en compte la difficulté d’interprétation de l’œuvre et peut adapter à la marge quelques accords pour un résultat encore plus harmonieux.
Mesurer le changement, est-ce déjà en tant que tel un premier pas, une action concrète vers le changement ?
Mesurer le changement fait partie du processus, pour mettre en mouvement le collectif. La démarche de mesure suscite des travaux transverses, des retours d’expériences qui sont autant d’opportunités de créer davantage de transversalité entre les équipes, par exemple, quand l’entreprise souffre de silos.
La mise en place d’outils de mesure de la transformation peut-elle permettre de s’apercevoir de dimensions dont on ne s’était pas rendu compte au sein de l’entreprise ? Peut-on se retrouver à analyser quelque chose qu’on n’avait au départ pas prévu de mesurer ?
C’est possible. C’est comme une auscultation médicale : lorsqu’on consulte le médecin pour un problème, il établit un pré-diagnostic en fonction de nos symptômes, et il peut au cours de l’examen prendre en compte de nouveaux éléments. Son diagnostic se précise alors. On peut absolument voir émerger des dimensions imprévues, des zones d’ombre, des incertitudes, et se retrouver avec de nouveaux sujets à traiter.
En fin de compte, mesurer le changement, ça sert à quoi ?
C’est un facteur clé de succès ! C’est absolument essentiel pour entrer dans un processus d’amélioration continue et rendre son organisation plus agile. Il s’agit de rendre tangible le changement et d’éclairer la route à suivre. Si vous désirez arriver à bon port au bon moment, impossible de naviguer à vue : vous dériverez de votre trajectoire. Vous avez besoin de calculer votre trajectoire et de vous situer en permanence. Les retours d’expérience permettent au collaborateur de se sentir valorisé et de maintenir son engagement, et le cas échéant d’adapter la stratégie du changement.
Quel conseil donneriez-vous à toutes les entreprises pour qu’elles puissent compter à tout moment sur des collaborateurs engagés et prêts au changement ?
Il est indispensable de prendre le temps d’écouter les collaborateurs et de valoriser la parole exprimée, au service de l’entreprise et des avancées du changement. Le dialogue est fondamental !
Finalement, est-il possible de réellement quantifier le changement en tant que tel ?
Oui, c’est possible de quantifier le changement, à condition de mettre en place des indicateurs du changement qui soient pertinents pour l’entreprise. Ils peuvent être très simples ! Je recommande aussi qu’ils soient limités en nombre pour faciliter leur suivi dans le temps et les retours d’expérience.
S’il s’agit par exemple de transformer la culture managériale en développant davantage la coopération et la transversalité entre directions, nous pouvons choisir très simplement comme indicateur le nombre de réunions transverses inter-directions.
Autre exemple, pour mesurer le degré d’acculturation digitale dans le cadre d’un projet de transformation culturelle de la relation client, nous pouvons mesurer le taux de collaborateurs qui ont assisté à une formation dédiée et qui ont obtenu leur passeport numérique.
Quant à qualifier le changement, sur des aspects plus qualitatifs qui portent sur des transformations comportementales ou posturales, c’est plus délicat de mesurer l’élément humain.
C’est ici toute l’importance de l’accompagnement du coach d’organisation qui porte un regard systémique sur l’organisation et qui analyse la maturité du collectif face au changement. Nous prenons en compte l’histoire du changement tel qu’il a été vécu par le collectif par le passé et sa capacité à se projeter vers un nouveau futur.