Par Jean-François Habert, Expert Zalis en Finance et Trésorerie
La planète brûle, et particulièrement nos régions d’Europe occidentale et nos montagnes, victimes en sus du réchauffement climatique général, d’une intensification massive des flux éoliens de sud-ouest qui nous submerge d’air saharien et tropical depuis deux décennies.
Face à cette urgence, la mobilisation générale s’impose à tous ; des mauvais élèves comme l’Inde, la Chine et les USA qui ont représenté 70% de l’accroissement des émissions de CO2 en 2018 (l’Inde affichant une progression de 7,2% sur l’année) aux bons éléments, dont la France qui a réduit cette même année ses émissions, déjà relativement faibles, de 4%. Clairement, les états les plus vertueux dans ce domaine doivent servir d’exemple.
La transition énergétique, nom générique donné aux transformations à opérer, recouvre en fait au moins deux volets, éminemment distincts :
- Le volet « offre d’énergie », qui vise à substituer aux énergies fossiles des énergies non émettrices de CO2, essentiellement d’origine éolienne, solaire et nucléaire,
- Un volet « usages », qui consiste à faire évoluer les modes de consommation dans le sens d’une meilleure efficacité énergétique (logements, procédés industriels…), d’une évolution de pratiques néfastes (élevage, épandages d’engrais, déforestation…), et bien sûr d’une décarbonation des biens d’équipement et de consommation (transports…).
Ces deux aspects des évolutions à initier ou amplifier nécessitent bien entendu des financements colossaux, et sont à adapter en fonction de la structure d’émission des gaz à effets de serre. En effet, si l’essentiel des émissions (40%) est imputable au niveau mondial à la production d’électricité, la France, grâce au nucléaire, a réduit cette proportion à 11%, les transports, responsables de 42% des émissions occupant la pôle position dans notre pays (24% au niveau mondial) devant le résidentiel (16%) et l’industrie (13%).
Notre propos d’aujourd’hui sera de nous poser la question du financement de cette transition énergétique en nous limitant au cas de notre pays, avec deux questions sous-jacentes : qui doit payer certes, mais aussi comment orienter les dépenses dans le sens de la meilleure efficacité ?
Commençons par fixer les grands éléments du décor, et dans un premier temps, de quels montants parle-t-on ?
Les chiffres les plus flous et les plus fous circulent, et le périmètre même de la « transition » est sujet à maintes fluctuations. Le chiffre de 3 000 milliards de dollars par an circule au niveau mondial, et, pour la France, Bruno Lemaire a fait état de 50 à 60 milliards d’Euros par an, ce qui représenterait environ 2 % du total mondial, ce qui fait sens. Nadège Tillier, une économiste citée par « Les Echos » invoque plus modestement un effort de 15 milliards d’Euros par an…
Première remarque : ces chiffres facialement très élevés sont à apprécier à l’aune des PIB, et là, ils apparaissent moins impressionnants : 3 000 MM$ représente le PIB de la France, soit 3 % du PIB mondial, 60 MM€ représente 2 % du PIB national : on reste malgré tout dans des ordres de grandeur parfaitement gérables.
Seconde remarque : rapportés au budget de l’Etat (450 MM€), ces 60 MM€ sont insupportables, et il est évident qu’une partie substantielle de ces dépenses devra être prise en charge par les ménages et les entreprises.
Rappelons ensuite l’état déliquescent de nos finances publiques : une dette publique de 3 050 MM€ (soit 1 ans de PIB), un déficit budgétaire de…160 MM€ (35% !), une charge de la dette de probablement plus de 60 MM€ en 2023…et un fort accroissement à venir.
Dans ces conditions, comment financer cette fameuse transition ?
L’offre d’énergie est essentiellement une affaire de l’Etat, surtout depuis la renationalisation d’EDF, et en raison aussi du flux de subventions inondant les énergies naturelles, et, plus récemment, les consommateurs.
La décision de construire 6 nouvelles centrales nucléaires est de toute évidence vertueuse, et leur financement par emprunt d’EDF garanti par l’Etat semble s’imposer, s’agissant d’un investissement créateur de valeur totalement indispensable. La mise à contribution du tissu industriel national est un autre aspect du bien-fondé de cette décision. Par ailleurs, les récents accords sur la régulation des prix de l’électricité, dont l’électricité nucléaire, obtenus à Bruxelles après un bras de fer avec l’Allemagne apporteront sans doute des marges de manœuvre financières en même temps qu’un lissage des prix allant de pair avec un découplage des prix du gaz.
Tout est-il idyllique ? Il existe malheureusement des sujets qui fâchent : la subvention excessive des consommateurs qui ruine littéralement l’Etat sans supprimer un seul gramme de Co2, et des décisions stupides comme la fermeture de Fessenheim impliquant la réouverture de la centrale au charbon de St Avold, à 150 km de là…
L’adaptation et la modernisation de l’outil de production et de distribution d’énergie, ainsi que les subventions inévitables pour l’évolution des usages vont entraîner, on l’a vu des coûts très importants pour l’Etat. En dehors du recours à l’emprunt pour les capacités nucléaires supplémentaires, il va de soi que tout endettement supplémentaire de l’Etat serait irresponsable. Il faudra donc rechercher des arbitrages dans les dépenses publiques, sans oublier un coup de rabot salutaire sur les dépenses du millefeuille territorial, passant inévitablement par sa rationalisation/simplification (il y aurait beaucoup à dire sur la « gestion » des finances locales…).
Un domaine s’impose en tant que cible prioritaire d’économies ou de réorientation des Budgets : les 140 à 157 milliards d’Euros (selon les sources) d’aides publiques eux Entreprises, qui, aux dires même des services de l’Etat ne font l’objet « d’aucun organe de suivi ou de contrôle », ce qui est proprement ahurissant. Il y a là probablement matière à financer sans douleur excessive une bonne part de la transition énergétique, d’autant que les entreprises trouveraient dans les subventions ou commandes énergétiques une large contrepartie à cette évolution…
Rappelons également qu’un point de taux d’intérêt coûte 30 mm€ au budget de l’Etat, ce qui souligne à la fois l’opportunité manquée d’investissement lorsque les taux étaient quasiment à zéro et relativise le coût des sommes à investir.
Il est temps à présent d’en venir aux usages.
Nous nous contenterons ici d’insister sur la nécessaire recherche d’efficacité dans des décisions de subvention ou d’investissement souvent très coûteuses, et parfois malheureuses par manque de courage politique, souci électoraliste ou biais idéologique.
Prenons deux exemples dans le domaine des transports qui concernent au premier chef notre pays : la relance du fret ferroviaire et la marche forcée vers l’automobile électrique.
La relance du fret ferroviaire est, depuis au moins deux décennies, une sinistre mascarade qui malgré les sommes englouties n’empêche ni la diminution inexorable de la part du rail (on est passé de 45 % en 1974, date de son apogée à moins de 8% aujourd’hui), ni la suppression des infrastructures (casse des gares de triage, mise au rebut de matériel encore en bon état…), le transport ferroviaire ne pouvant définitivement pas lutter de par sa structure de coûts contre un transport routier aussi efficace que surprotégé…Le renoncement au péage des poids lourds par un ministre de l’écologie des années 2010, malgré plusieurs milliards d’euros d’investissement perdus, illustre la faillite de certaines décisions en la matière. Relancer le ferroviaire passe nécessairement, malgré les libéralisations du marché et les restructurations financières de Fret SNCF, par la taxation du transport routier, voire l’imposition de certains quotas de ferroviaire aux industriels (à l’instar du transport de certaines matières dangereuses, interdites de route), charge à eux de répercuter les coûts sur leurs prix de vente. Sans cette prise de conscience énoncée et assumée, tout investissement supplémentaire sera un nième gaspillage de fonds publics.
Le passage à marche forcée vers le tout électrique en matière automobile, imposé par l’Europe, est également assez discutable en matière de diminution des émissions de Co2 : qui peut acheter des véhicules d’un prix moyen de plus de 30 000 € après subvention ? Essentiellement des populations aisées qui roulent déjà dans des véhicules modernes (les émissions moyennes ont baissé de plus de moitié entre 1995 et 2020). Les plus gros pollueurs routiers, c’est-à-dire les 3.8 millions de véhicules de plus de 20 ans (206, voire 205, Clio de série 2 et 3, souvent diesel…qui polluent probablement 4 x plus que des véhicules thermiques récents), les utilitaires légers (20 % des émissions), les poids lourds (20 % des émissions), les bus (3%) et les deux roues, particulièrement les 50 cm3 (qui émettent entre 10 et 20 x plus de Co par litre de carburant consommé…et jusqu’à 100 x !) passent quasiment tous entre les mailles du filet. La taxation par ailleurs salutaire des voitures fabriquées hors d’Europe va mettre à mal les ventes de 2 des 3 modèles électriques les moins coûteux : la Dacia Spring et la MG4… Imposer la mise au rebut des vieux véhicules, quitte à les remplacer par des véhicules subventionnés à moteurs à essence modernes, serait certainement moins coûteux et plus efficace que les pratiques actuelles…Par ailleurs, la marche forcée au « tout électrique » va inévitablement entraîner un problème vis à vis des 30 mm€ de TICPE (dont 60% pour l’Etat) largement prélevés sur la consommation de produits fossiles. Ce sujet est malencontreusement éludé dans les discours officiels…
Les moyens financiers étant limités et l’efficacité climatique impérative, les décisions politiques devraient être prises de façon plus pragmatique, pour le plus grand bien de la planète et des finances publiques. Il est par ailleurs inéluctable que les ménages soient mis à contribution de façon sélective, en ménageant les populations les plus fragiles.
Finissons par un mot des autres domaines d’évolution : le résidentiel, dont la rénovation thermique échoit logiquement aux propriétaires, privés (à subventionner probablement avec parcimonie) ou publics (à subventionner probablement plus largement), et l’industrie, faisant elle-même son affaire de la décarbonation de ses process, quitte à les répercuter dans ses prix de vente.
En conclusion, les dépenses totales en énergie ont représenté en 2020 144 MM€, soit, en supposant que ce montant ait quasi doublé, 250 MM€ en 2023, soit 8 % de la richesse nationale. Notre pays apparaît donc avoir largement les moyens de jouer un rôle exemplaire dans la transition énergétique pour peu que nos dirigeants fassent preuve de lucidité, de pragmatisme et de courage politique.