Par Jean Messinesi, Ancien président du tribunal de commerce de Paris

 

En ces temps troublés, d’extrême incertitude, les entreprises ignorent trop souvent qu’elles disposent d’instruments juridiques précieux leur permettant de garantir leur pérennité pour un coût limité ou de surmonter une passe délicate avec un minimum d’interférence. C’est le cas de la Sauvegarde.

La procédure de Sauvegarde, adoptée en 2005 et entrée en vigueur en 2006, permet aux entreprises qui sont confrontées à des difficultés insurmontables mais temporaires, de rechercher, de leur propre initiative, la protection de la justice pour les aider à traverser une période difficile. Ce ne sont pas des créanciers qui vous assignent devant le tribunal de commerce, c’est vous, chef d’entreprise, qui décidez de solliciter l’ouverture d’une procédure de Sauvegarde et qui conservez pleinement votre rôle et vos prérogatives. Ceci est essentiel.

Le jugement d’ouverture d’une Sauvegarde gèle les dettes de l’entreprise au jour d’ouverture et interdit le paiement des créances nées antérieurement au jugement. Les TPE peuvent bénéficier d’une procédure de Sauvegarde Simplifiée lorsque leur chiffre d’affaire n’excède pas 3 millions d’euros.

La condition première à l’ouverture d’une Sauvegarde est de ne pas être en état de cessation des paiements, c’est-à-dire d’avoir pu payer tous les engagements de la société, y compris les salaires, les charges sociales et les impôts au jour de la première audience au tribunal. Le recours à la Sauvegarde doit donc être fait le plus tôt possible. Le chef d’entreprise qui voit un mur de difficultés infranchissables se rapprocher inexorablement doit saisir le tribunal, c’est son privilège et son salut. L’ouverture de la procédure de Sauvegarde ayant pour effet de suspendre toutes les actions en justice engagées par les créanciers de la société, le dirigeant lorsqu’il est caution est donc protégé, et il le sera pendant toute l’exécution du plan de Sauvegarde.

Le recours à la Sauvegarde n’a pas eu tout le succès que cette procédure mérite ; la réticence des chefs d’entreprise de se rendre dans un tribunal de commerce, l’opprobre que l’opinion publique, sottement, attache souvent à l’ouverture d’une procédure collective, sont largement responsables de la sous-utilisation d’une procédure qui n’a rien d’infamant, dont la mise en œuvre est rapide et efficace, pour un coût raisonnable.

La crise que nous traversons affecte brutalement un grand nombre d’entreprises, petites, moyennes et grandes qui pourtant début 2020 envisageaient l’avenir avec confiance et même optimisme. Ces entreprises structurellement saines ont été fragilisées par une crise totalement exogène à leur fonctionnement. Elles ne vont pas mourir car elles demeurent fondamentalement saines. Il faut simplement qu’elles puissent bénéficier du répit que leur apporte la Sauvegarde.

Cette procédure est faite pour répondre à la situation actuelle.

Dirigeants, quelle que soit la taille de votre entreprise ne négligez pas la possibilité d’avoir recours à la Sauvegarde, c’est dans votre intérêt, dans celui de vos salariés et de votre entreprise. N’attendez pas ; les entreprises qui entrent en Sauvegarde ont de bien meilleures chances de s’en sortir que celles qui vont en Redressement judiciaire.

Pendant mon mandat, j’ai souvent regretté qu’il ne soit pas fait plus souvent appel à la Sauvegarde. Car quel qu’ait été leur secteur : restauration, brasseries, presse quotidienne, casinos et jeux, distribution, les chefs d’entreprise qui choisirent la Sauvegarde ne le regrettèrent pas.

Les exemples de Sauvegardes réussies sont nombreux, c’est la procédure collective qui a le plus fort taux de succès, plus de 60% des plans de Sauvegarde vont jusqu’à leur terme, c’est-à-dire jusqu’à la restructuration complète des dettes. Certaines entreprises que l’on disait au bord du gouffre ont pu, grâce à la Sauvegarde renaitre véritablement. Deux exemples : Eurotunnel en 2006, un des premiers dossiers de sauvegarde, Monceau Fleurs sorti dès 2016 d’un plan ouvert en 2012.

Il serait dommage de négliger un tel instrument qui répond parfaitement à la problématique d’entreprises structurellement saines qui doivent faire face aujourd’hui à une crise qui leur est étrangère.

 

Jean Messinesi

Senior Advisor, Zalis SAS

Ancien président du tribunal de commerce de Paris