Par Robert Lambert, Directeur Zalis Auvergne Rhône-Alpes
Dirigeants, mettez à profit le calme avant la tempête pour pouvoir affronter la sortie de crise
Une situation paradoxale
Nous expliquions récemment que la crise COVID par sa nature et son ampleur devait inciter les dirigeants d’entreprises à changer profondément leur mode de pilotage et à innover.
6 mois après le début de la crise, où en est-on ? Le gouvernement a pris des mesures très fortes, avec les PGE et le chômage partiel. A la fin du confinement, l’activité a redémarré. Certains dirigeants ont vu leurs principaux indicateurs et leviers revenir dans des positions proches de la normale, ont enregistré de bons résultats grâce à la baisse des coûts fixes permise par le chômage partiel, et disposent d’abondantes réserves de cash avec l’effet cumulé de déstockage, du chômage partiel et des PGE. L’ensemble du tissu économique bénéficiant largement des PGE, il n’y a pas ou peu d’impayés.
Suite à la sidération du confinement, et dans une ambiance toujours anxiogène, le pilote qui voit ses leviers revenir sous contrôle, qui voit de bons résultats et qui se retrouve avec un cash abondant, peut à juste titre se mettre à espérer et continuer « business as usual ».
Une illusion dangereuse
C’est là qu’est le danger.
Si le dirigeant reste anesthésié par l’effet du cash, il risque de se réveiller beaucoup trop tard pour réagir. Il sera pris en tenailles entre l’effet des changements induits par le Covid dans son entreprise, et la raréfaction rapide du cash.
L’effet cumulé de tous les petits écarts sur les leviers de pilotage, même si la situation semble s’améliorer, produira sur le moyen terme des changements significatifs sur les résultats de l’entreprise, le plus souvent dans le sens d’une dégradation. C’est ainsi que certains employés, en particulier ceux qui ont travaillé en poste, face au public, auront de nouvelles attentes, le télétravail perturbera les réactions des cols blancs ; clients et fournisseurs auront également des attitudes et des attentes différentes. Le risque sera d’autant plus grand que certains concurrents auront mis à profit la période pour anticiper et se réformer. Bref, piloter cet ensemble deviendra un art différent.
Parallèlement, le cash s’assèchera très vite. Il faudra commencer à rembourser les PGE. Le chômage partiel s’arrêtera alors qu’il faudra reconstituer les stocks ce qui créera un fort besoin pour assurer le besoin en fonds de roulement. Des défaillances pourront également se manifester au niveau du poste client, les conditions économiques et l’évolution de l’environnement étant les mêmes pour tous. Bien évidemment, dans ce contexte, les banques hésiteront à prêter face à des bilans fortement endettés et détériorés, les PGE pesant lourd.
Réagir vite
Pour éviter cet effet de tenailles, entre le cash qui se raréfie et des résultats qui se dégradent, il faut immédiatement anticiper et innover. Il faut patiemment tester tous les leviers : une approche différente des relations humaines, ajuster l’offre, travailler avec les fournisseurs, bref tout revoir. Il faut également innover en termes d’organisation, de structures, de coûts fixes. Le diagnostic doit être complet et non complaisant, et chaque minute doit être mise à profit pour ajuster l’organisation et les modes de fonctionnement.
Ceux qui mettront à profit le calme avant la tempête pour se remettre en cause sortiront mieux armés et pourront affronter le mauvais temps. Les autres seront pris dans les tenailles et devront se battre dans l’urgence sans avoir le temps et les moyens de le faire.
Deux démarches possibles, souvent complémentaires
La démarche à suivre pour mettre à profit cette période sera fondée sur trois piliers :
l’identification et l’intégration des changements internes et externes résultant de la crise, la remise en cause des modes de fonctionnements par rapport à ces changements, et la projection financière, prenant en compte cette remise en cause de l’organisation.
Les entreprises qui n’auront pas connu d’embellie sur le cash devront appliquer les mêmes méthodes, mais sans le confort du délai. Pour réaliser cet exercice, les entreprises auront tout intérêt à se faire assister par des cabinets spécialistes du retournement et des situations de crise. Ceux-ci, par leur vision et leur expérience aideront le dirigeant à sortir de ses paradigmes, accélèreront les processus de modélisation, et surtout apporteront un accompagnement précieux dans la mise en place des solutions.
En effet, les projections financières et de cash, en incluant de façon itérative les changements possibles permettront d’anticiper et de construire divers scénarios. Pour beaucoup d’entreprises, en situation normale, l’équilibre se joue à quelques points de chiffre d’affaires. Dans une situation ou par rapport à une base 100, beaucoup d’estimations de chiffre d’affaires pourront se situer à – 5%, moins 10 % voire plus, les projections, même en allégeant les structures, risquent de montrer des situations fortement dégradées à plus ou moins court terme, nécessitant la mise en place de mesures fortes.
Ces mesures pourront être de deux natures. Elles seront d’abord des plans d’action pour ajuster les structures, changer les modes de fonctionnement en vue d’abaisser le point mort et retrouver l’équilibre. Si ces changements ne permettent pas de revenir à une situation saine assez vite, ils pourront être complétés par le recours aux diverses solutions offertes par la loi, la première à envisager étant la procédure de conciliation. Ces recours sont souvent ignorés des dirigeants. Un bon accompagnement leur permettra de négocier dans une position favorable. Les créanciers ont tout intérêts dans ce cadre, face à une entreprise bien accompagnée qui présente un plan sérieux, à faire des concessions pour sauver leurs actifs, plutôt que de prendre le risque de bloquer la situation, et de perdre tout contrôle dans une procédure collective.
Les solutions existent. Il faut les mettre en place.